Passionnée de musique, de photos, de cinéma et plus récemment de design, Elodie Dérond, artiste émergente martiniquaise, puise l’essence de ses travaux dans ses origines caribéennes et dans la beauté des souvenirs qu’elles lui laissent.
Son travail peut donner vie à des productions intuitives et spontanées, comme à des projets extrêmement réfléchis dont la production peut s’étaler sur plusieurs mois, prenant une tangente subtilement philosophique et sociale.
Elle a récemment fondé avec sa compagne, Tania Doumbe Fines, un studio de design sous le nom de ibiyanε qui signifie en batanga : « se connaître mutuellement » ; et qui est à l’image de ce qu’elles partagent dans leur démarche artistique, reflet de conversations entre le Cameroun et la Caraïbe.
C – Que peux-tu nous dire de l’expérience de créer à quatre mains et quelles sont les particularités de vos créations ?
E – C’est une expérience très enrichissante. Pour l’instant nous faisons de la création de meubles : des chaises. Nos premières chaises datent de la période du confinement, où Tania a eu l’idée de faire une chaise, suite à quoi nous avons créé ibiyanε. Notre première exposition s’appelait Black Experience isn’t a spectacle et s’est déroulée à Montréal. C’était une exposition assez littéraire où nos chaises venaient agrémenter des bibliothèques divisées en 3 espaces.
Il y avait un espace consacré au panafricanisme et ses origines, un autre centré sur la littérature de la diaspora et un dernier espace sur l’afro-futurisme. Les chaises s’appellent toutes Elombe ce qui signifie Conversations en batanga, la langue d’origine de Tania qui est camerounaise.
Cela illustre un peu ce qu’il se passe entre nous quand nous créons. La réflexion se fait toujours à deux. On dessine d’abord car c’est plus facile, ensuite on fait des prototypes de pâtes à modeler pour voir ce que ça peut donner visuellement, puis Tania en fait des modèles 3D et ça nous prend à peu près 3 semaines pour produire une chaise dont l’idée est bien ficelée.
Le style de nos chaises évolue avec les temps, les premières sont différentes des dernières. Mais je dirais qu’elles ont pour points communs de conserver des formes organiques. Ma chaise préférée est assez lourde. Elle s’appelle Elombe 010 et a été réalisée pour Wet Metal, une exposition sur le thème du brutalisme à Montréal. En terme de projets, la plus récente exposition d’ibiyanε est actuellement présentée à la Carpenters Workshop Gallery de New-York dans le cadre de The New Guard : Stories from the New World. L’exposition dure jusqu’au mois de Janvier prochain.
C- En quoi le fait d’être martiniquaise influence tes pratiques artistiques ?
E- Je pense que le fait d’être martiniquaise, d’être née, d’avoir grandi en Martinique, c’est garder des images, des sons, des rythmes, qui font partie de moi. Quand je pense musique, je pense musique avec certaines sonorités, je pense jazz et biguine. J’aime beaucoup que ma musique soit liée à ça et c’est une influence que je n’arrive pas à bloquer, qu’il s’agisse de peinture, de couleur, ou de vie …
Par exemple dernièrement j’ai fait un tout petit film, Rêverie de quelques minutes sur la fabrication du pain au beurre chocolat que l’on appelle aussi « Chocolat Communion », sur laquelle ma famille et moi avons eu un débat à propos de l’ajout de beurre de cacahuète ou pas. En Martinique on en prépare à toutes les grandes et petites occasions.
Ma mamie nous en a fait tellement, elle a préparé celui de ma première communion. C’est une scène unique, dans sa cuisine, mes tantes, ma cousine et moi, une réunion extraordinaire et l’une des recettes les plus martiniquaises qui soit. C’est tout ce que le film représente pour moi. C’est un au revoir et une nouvelle expérience avec ma famille, un passage et un ancrage tout à la fois.
A titre personnel, j’ai commencé à réaliser une seconde Rêverie, je tente à nouveau de capturer, sceller en images la beauté qui se révèle parfois du deuil de ma grand-mère. Le premier était très intuitif, je veux prendre le temps cette fois d’explorer un peu plus la cinématographie et la musique/le son.
C- En juin 2021 le festival Diasporama comptait parmi sa sélection de courts-métrages Ibánga , auxquels tu as participé à la réalisation. Peux-tu nous parler de ce projet ?
E- C’est un projet de Tania, qui a été réalisé dans le cadre d’un programme pour les jeunes réalisatrices et réalisateurs noir(e)s de Montréal. Elle a décidé de composer une équipe solide à laquelle elle m’a intégrée. Ibánga, qui signifie Peur en batanga, traite de la peur et de la réalisation de soi.
Les deux sujets sont explorés par Sabina Rony, une poétesse haïtienne dans la première partie, et par Zab Maboungou en deuxième partie, qui approfondi la discussion en nous partageant son savoir. Elle nous propose un regard sur nos relations avec nos corps, les rythmes etc, en tant qu’afro-descendant(e)s.
Ibánga voyage beaucoup, de festivals en festivals, il a joué dernièrement au Brésil et à la Réunion notamment, on espère le partager plus encore.
J’ai composé et interprété la bande son, sur laquelle j’ai été accompagnée par Amaëlle Beuze qui est une musicienne martiniquaise. Elle était à la basse, et moi au saxophone et au piano. Composer de la musique pour supporter d’autres formes d’art, comme ici, le cinéma et la poésie est un processus que j’apprécie énormément. C’est une source d’inspiration particulièrement stimulante et créer la musique d’un film est quelque-chose que j’ai toujours voulu faire, ça a été l’une de mes plus belles opportunités à ce jour.
On s’est un peu demandé qui de la poule ou de l’œuf pendant un moment parce que tout se créait en même temps. Je travaillais sur le montage des images et sur la musique en simultanée, c’était une situation encore plus idéale, j’étais complètement immergée. J’ai le très doux souvenir de ne pas avoir beaucoup douté de moi. Je résonnais beaucoup aussi avec la direction épurée du film et la scène de nuit, le lourd silence qu’elle implique, mêlé au discours internes et aux émotions révélées par le poème et le personnage qui fuit… Je voulais traduire cette rencontre.
Et puis je suis fière et heureuse d’avoir partagé l’expérience avec Amaëlle, c’était très naturel, j’étais confiante à lui expliquer mes idées et ce que je recherchais, on trouve toujours un moyen de se comprendre.
En plus d’avoir travaillé sur la bande son et le montage du film, j’ai également pris la photo de l’affiche. J’adore prendre des photos en argentique. Durant le tournage du film au Cameroun, j’ai pu prendre de nombreuses photos comme les joueurs de foot sur la plage, Tania dans l’eau… Je pourrais prendre plus de photos, mais dans ma démarche artistique je préfère capturer le moment présent.
« J’aime le beau et je pense qu’on peut le retrouver partout, dans des choses très simples, très naturelles. »
Elodie Dérond
Swé, Kribi (2020) Itongo, Kribi (2020)
Noir & Blanc, Kribi (2020)
Nora, Bordeaux (2019) Pascale, Montréal (2020)
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